Inspections en plein Grand Prix à Montréal : Voici combien d'argent des restos ont perdu
En plus de la météo incertaine lors du week-end du Grand Prix de la F1, des propriétaires de restaurants du centre-ville ont eu toute une douche froide au moment le plus fort des festivités à Montréal. Après avoir été dans l’obligation de fermer leur terrasse couverte ou de retirer des décorations à la suite d'une inspection du Service de sécurité incendie de la Ville (SIM) en période de forte affluence, des restaurateur.trice.s ont évalué leurs pertes financières et en ont long à dire sur les incohérences que soulève l'opération effectuée tout juste avant ou pendant le point culminant de cet événement d'envergure.
Le vendredi 7 juin, vers 21 h, des préventionnistes de l'opération Sentinelle du SIM ont notamment forcé les propriétaires de quatre établissements de la rue Peel à vider leur terrasse et à démonter rapidement les chapiteaux, soit pour le jour suivant (samedi le 8 juin). Au moins deux propriétaires ont écopé d'une amende de plus de 1000 $, car leurs installations n’étaient pas conforme aux règles de sécurité - selon ce que les deux personnes concernées ont rapporté. Pourtant, elles disent avoir obtenu au préalable les autorisations nécessaires de la Ville de Montréal.
Et à quelques heures du début du Grand Prix, un autre restaurateur a été sommé de retirer les nombreuses décorations installées dans son établissement, sans quoi il devait le fermer.
Entre pertes d'argent, frustrations et incompréhensions
Contacté au lendemain de ce week-end riche en retombées financières, le propriétaire du restaurant Chez Alexandre a évalué les pertes occasionnées par la fermeture de sa terrasse couverte. Bilan estimé : entre 50 000 et 60 000 $. Et ce, en seulement 48 heures.
Au-delà de ces importantes sommes, Alain Creton reste avec un goût amer en bouche après cette opération de sécurité incendie pour laquelle il dit « avoir perdu la face » devant une bonne partie de sa clientèle, vendredi soir dernier. « Nonobstant l'argent, cette section de prévention des incendies ne fait pas de la prévention, [mais plutôt] de la répression. [...] On avait une autorisation de la Ville [pour la terrasse], mais la main droite ne parle pas à la main gauche. Chacun se renvoie la balle », déplore-t-il.
Le restaurateur affirme avoir rapproché la terrasse de son établissement à la suite d’une demande de la Ville. Mais cela a ensuite contrevenu aux règles du SIM, qui est intervenu en plein service du souper. « C'est complètement stupide, inadmissible, grossier. [...] Ça ne reflète pas du tout la mentalité de chez nous, du Québec. Montréal a perdu la face et a perdu énormément d'argent, parce qu'il y a des touristes qui ne reviendront pas », considère M. Creton.
Au Ferreira Café, les pertes seraient élevées, notamment pour l'investissement dans une terrasse couverte et aménagée. « On avait fait quelque chose de magnifique et investi plus de 40 000 $. [...] Pourquoi avoir attendu 21 h [pour l'intervention du SIM], alors que le resto était plein? Je trouve ça cruel », a affirmé en pleurs la gérante Sandra Ferreira dans une vidéo publiée sur son compte Instagram, au moment des faits.
Démonter un décor en catastrophe
À moins de 24 heures du début des festivités officielles du Grand Prix, soit le jeudi 6 juin, le propriétaire du Yoko Luna, situé sur la rue de la Montagne, aurait reçu la visite des préventionnistes du SIM. « Ils nous ont forcés à retirer 150 000 $ de décor qui comprenait des plantes artificielles, de vrais arbres et divers éléments partout dans la salle, témoigne John Edward Gumbley à Narcity Québec. [...] Ils sont arrivés jeudi soir à minuit pour nous dire que tout cela devait être fait avant de revenir le lendemain [vendredi], vers 22 h. Sinon, ils nous fermaient ».
Celui qui est également président du groupe JEGantic (Bord’elle, The Farsides, Hang Bar et Boa Via Day Club) affirme qu'il n'a jamais été avisé au préalable de la non-conformité du décor - selon les règles du SIM. Ces travaux de désinstallation ont alors été faits à la dernière minute. « Ils n'ont pas pris la peine de m'envoyer un avis ou un courriel. [...] Ce qu'ils ont demandé était presque impossible et [la fermeture] m'aurait fait perdre environ un million de dollars de ventes », déplore-t-il.
Afin d'éviter ce scénario de fermeture, M. Gumbley dit avoir contacté une entreprise spécialisée en certification de sécurité incendie afin de valider la conformité de son décor. Or, cette solution aurait été refusée par le SIM, qui aurait ensuite eexigé le démantèlement de ses ornementations. « J'ai dû demander à douze personnes de construire des échafaudages, de tout démolir et de nettoyer l'ensemble du site, alors que nous nous préparions pour le week-end le plus chargé de l'année après un hiver terrible », explique l'entrepreneur.
Que feront la Ville et le service des incendies?
Hier soir, le dimanche 9 juin, la mairesse de Montréal Valérie Plante s'est exprimée de vive-voix concernant cette situation. « Évidemment que je suis désolée que ça ait mené à un chaos sur la rue Peel. Mais en même temps, s’il y a des enjeux de sécurité, on ne peut pas lésiner avec ça », a-t-elle déclaré devant la caméra de TVA Nouvelles.
Selon le SIM, cette intervention était nécessaire, car les marquises des terrasses étaient placées trop près des établissements visés. Cela posait donc un risque de propagation du feu.
Du haut de ses 47 ans d'expérience comme restaurateur, Alain Creton de Chez Alexandre se demande tout de même pourquoi les communications entre la Ville et le SIM étaient contradictoires. Et aussi, pourquoi cette intervention a été réalisée aussi tardivement, lui faisant perdre des milliers de dollars. « Ils ne peuvent pas dire qu'ils font de la prévention ; ils ne font que de la répression. C'est ça le problème qu'eux, à l'interne, doivent régler maintenant. [...] Il y a quelque chose de pourri là-dedans », peste-t-il.
De son côté, John Edward Gumbley s'explique mal comment il n'a jamais reçu d’avis pour son décor lors d'inspections précédentes. « [...] la Ville, ses inspecteurs et ses pompiers ne m'ont jamais remis de lettres [ou] d'avertissement verbal ou écrit concernant mon décor. Jamais. Pas un mot. Comment peuvent-ils m'inspecter plusieurs fois [par année] et soudain, le week-end de F1, je suis menacé de fermeture », dénonce ce dernier.
Un post mortem administratif devait justement avoir lieu dans la matinée du lundi 10 juin, à la Ville de Montréal, pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise. En fin d'après-midi, deux cadres (un chef de section et un agent technique) ont été suspendus de leurs fonctions avec solde. Ces derniers font face à des mesures disciplinaires, alors qu'une enquête interne est en cours.
Cet article a été mis à jour le 11 juin depuis sa publication originale