Le représentant du personnel correctionnel des prisons québécoises constate une augmentation inquiétante des agressions non seulement physiques, mais aussi armées envers les agent.e.s du milieu carcéral. Et c'est sans compter la multiplication des règlements de compte entre les détenus et membres de gangs criminels à l'extérieur des murs à l'aide de cellulaires qui sont de plus en plus livrés illégalement par drone.
« Ce qu'on voit depuis un bon bout de temps, c'est qu'il y a davantage d'agressions [commises par des prisonniers] envers les agents, soit verbales avec menaces et intimidation ou [des attaques] physiques », déplore Mathieu Lavoie, président national du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec.
Ce phénomène a atteint des proportions alarmantes à l'Établissement de détention de Québec (secteur masculin) à la fin mars, où plusieurs membres du personnel de ce pénitencier ont été pris d'assaut au cours d'une même courte période. « J'ai eu quatre agents agressés à Québec avec une arme artisanale [un objet tranchant de la part d'une personne incarcérée]. Et il y a davantage d'agressions et de conflits entre les différents gangs aussi, à l'intérieur », ajoute-t-il (voir les détails ci-dessous).
Beaucoup de couteaux, mais aussi des scies à métal ont été saisies à travers la province. Mais ces poignards, de différentes tailles et parfois fabriqués de manière artisanale (tel qu'illustré sur l'une des photos ci-haut), abondent tout particulièrement du côté de la prison de Québec. La lame de la plus récente arme perquisitionnée à cet endroit était de 17 centimètres, nous a confié M. Lavoie la semaine dernière - tu peux retrouver tous les détails dans notre article exclusif incluant des photos des armes, drogues et cellulaires livrés par drone en prison au Québec.
Des tonnes de cas non déclarés
Les données officielles concernant les attaques à l'endroit des agent.e.s correctionnel.le.s des prisons sous juridiction provinciale seraient sous-estimées. S'i y a eu quelque 550 cas d'agression inscrits au cours des dernières années à travers le réseau, M. Lavoie estime qu'il ne s'agit là que d'une fraction du nombre réel.
« Par exemple, à Bordeaux (à Montréal) cette année, il y a peut-être eu 30 ou 40 agressions sur des agents [selon les chiffres]. Si [l'événement violent] n'a pas causé de lésion, c'est-à-dire que l'agent n'a pas eu un accident de travail ou quitté le travail (en raison de blessures, par exemple), ça ne sera pas compilé », affirme ce dernier.
De plus, ce dernier observe également une hausse des blessures psychologiques et chocs post-traumatiques auprès de ses membres en lien avec des violences causées par des prisonniers.
Des crimes commandités de l'intérieur
« Les gangs de rue n'ont pas de règles et n'ont pas de morale, non plus. Quand on regarde ce qui s'est passé à [la prison de] Saint-Jérôme, le char d'un agent qui a brûlé avec un cocktail Molotov dans le parking... On sait que c'était lié, selon les informations qu'on a, au gang de rue d'allégeance bleue. C'était des commanditaires qui étaient à l'intérieur des murs », explique-t-il.
Une photo de ce crime survenu le 14 février dernier a été partagée sur le site Web de la station de radio CIME des Laurentides. Cet événement a également levé le voile sur d'autres menaces des gangs de rue qui pèsent envers les gardien.ne.s de cet établissement de détention. Deux autres personnes en possession de bidons d'essence ont été interceptées 24 heures plus tard sur le terrain de la prison. L’une d’elles aurait même avoué avoir été payée par un.e commanditaire pour intimider le personnel correctionnel, a rapporté le Journal de Montréal.
De plus, une employée a alerté la police après qu'un individu ait forcé la portière de son véhicule. Cette dernière avait aussi été insultée par une personne à proximité de son domicile quelques heures avant l'attaque au cocktail Molotov dans le stationnement de la prison de Saint-Jérôme. « Ils [les agent.e.s] avaient été ciblés [par des individus] à l'intérieur des murs. Ce n'est pas des enfants de chœur quand on regarde leur feuille de route », affirme M. Lavoie. Ce dernier souligne que l'un des suspects est en attente de procès pour tentative de meurtre et possession d'armes.
Business et violences au bout du fil (et à travers les écrans)
Avec ce genre d'événement, on est à même de constater tous les risques des communications non autorisées entre les murs, notamment pour intimider les personnes à l'extérieur de ceux-ci. « À l'intérieur, tu n'as pas accès à un téléphone de façon libre. Là, c'est sûr que ceux qui ont un cellulaire peuvent faire ça et ils peuvent continuer leurs transactions financières, ils peuvent voir s'ils se sont fait payer leur stock », énumère le président du personnel correctionnel.
Rappelons que les cellulaires entrent dans les mûrs comme dans un moulin, tout comme des armes blanches et des drogues livrées très régulièrement par drone dans plusieurs établissements de détention à travers la province. Narcity Québec a eu accès à des photos et informations exclusives des saisies qui indiquent que ce business des plus florissants est loin de s'arrêter et ne s'opère pas qu'à la prison de Bordeaux, sous les feux des projecteurs médiatiques dans la dernière année.
« Ça a des impacts [sur la sécurité], déplore M. Lavoie. Puis, il y a toute la notion de dettes à l'intérieur. Souvent, la personne incarcérée qui est identifiée comme étant la mule [...] est obligée de faire rentrer du stock par drone. Si elle se fait pogner, [...] ça crée des règlements de compte, davantage de conflits, davantage d'altercations. Donc, ça devient une poudrière dans certains établissements, soit dans les cours extérieures, soit dans les secteurs ».
Effet domino
Cela déclenche donc un effet domino qui peut augmenter les tensions et altercations de toutes sortes. Récemment, une bagarre a éclaté entre trois détenus, impliquant un objet tranchant dans une cellule de prison - un quatrième prisonnier filmait la scène et on ne peut confirmer où cela s'est produit. Narcity Québec a d'ailleurs eu accès à la vidéo sanglante qui a circulé sur les réseaux sociaux. « Je ne sais pas combien de fois par mois on a un tel ou un tel qui filme se dans sa cellule [...] avec une bouteille d'alcool, de la drogue, des couteaux [...]. Là, ça peut être une initiation de gang de rue ou ça peut être un contrat qui s'est mal passé. Ça prendrait une preuve pour dire que ça a été fait et ce qui a été envoyé sur les médias sociaux », soutient le porte-parole du syndicat.
Il est donc souvent difficile de donner suite à ce genre d'événement d'un point de vue légal. En octobre 2023, le gouvernement du Québec a annoncé des investissements de près de 36 M$ pour sécuriser les établissements correctionnels sous juridiction provinciale. Cela comprend notamment des systèmes de radars pour détecter l'arrivée des drones dans certaines prisons ainsi que pour optimiser le balayage corporel lors des fouilles.
D’autres mesures pour contrer l’utilisation des cellulaires à l’intérieur de murs devaient également être annoncé depuis cette annonce effectuée il y a près de six mois. « Pour moi, l’incarcération, c’est un moment pour payer sa dette à la société, pas pour continuer ses activités criminelles (en gardant contact avec l’extérieur) », avait affirmé le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, en entrevue au Journal de Québec.
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