Cette rue de Montréal a été nommée parmi les plus cool au monde et on n’est pas convaincus
Les opinions exprimées sont celles de l'auteur ou l'autrice et ne reflètent pas nécessairement la position de Narcity Media sur le sujet.
Une rue bien connue de Montréal figure parmi les 30 artères qui seraient « the coolest streets in the world » (les rues les plus cool au monde), selon un palmarès réalisé par le magazine international Time Out. Étant la seule route canadienne dans le palmarès, on pourrait en déduire que c'est également l'une des plus tendance au pays. Comme journaliste qui pratique mon métier depuis plusieurs années aux quatre coins de la métropole, permet-moi de douter de ce choix.
J'ai bien du mal à comprendre cette sélection, d'autant plus la « méthodologie » derrière ce classement - j'utilise les guillemets, car il semble bien reposer sur l'avis d'une seule personne pour chaque rue sélectionnée. Pour ma part, je ne crois pas que celle nommée pour notre métropole canadienne retienne l'attention de la population ou encore, des touristes autant locaux qu'internationaux. Je suis septique, tout comme l'urbaniste émérite Gérard Beaudet avec qui j'ai pu m'entretenir sur cette remise en question.
Pourquoi avoir choisi cette rue longtemps considérée comme le repère commercial par excellence pour les robes de bal et de mariée, les costumes et les chaussures à bas prix? Tu l’auras peut-être deviné : je parle de la rue Saint-Hubert, ici. Certes, de nouveaux restos et commerces y ont fait leur apparition dans les dernières années - et la Ville de Montréal a tout récemment annoncé qu'elle deviendra piétonnière pour la première fois cet été.
Mais cette liste des rues à succès publiée sur le site Web du Time Out est en fait une compilation des rues préférées de leurs collaborateur.trice.s (ayant une expertise locale, selon le magazine), plutôt qu'un palmarès établi grâce à un processus rigoureux. D'autant plus qu'il me semble être à côté de la track concernant cette nommée qui traverse la métropole en passant par Rosemont - La-Petite-Patrie. « Enclave latine et emblématique lieu hipster, la Plaza Saint-Hubert est en partie recouverte d'une verrière, ce qui la rend propice à l’exploration en toute saison », peut-on lire dans le texte. Déjà, cet argument est réfutable dans la mesure où ces panneaux ne protègent pas du froid de l'hiver et qu'ils ne m'incitent pas plus à y aller, beau temps, mauvais temps.
La mention de cette rue et plus spécifiquement de la Plaza Saint-Hubert dans ce top met également de l'avant des endroits où manger, où boire et où se divertir comme... au salon de Quilles G Plus! Le pire, c'est que j'y suis allée tout récemment, j'ai apprécié ma soirée et j'ai également bien aimé mon expérience à une buvette située dans ce secteur - le restaurant Brouillon (présentement fermé pour travaux). Mais tout cela ne saurait me convaincre de ce prétendu statut de rue la plus cool.
À prendre avec un grain de sel
Je n'ai donc pas pris cette compilation pour du cash. Et l'urbanisme Gérard Beaudet, professeur à l'École d'urbanisme et d'architecture de paysage de l'Université de Montréal, ne mâche pas ses mots en m'avouant qu'il est carrément « allergique » à ce genre de palmarès. « Que ce soit pour les meilleures villes ou [celles qui sont le] mieux gérées au Québec, il y a un biais au plan de la méthodologie qui fait qu'on doit toujours prendre ça avec un grain de sel », considère ce dernier.
« Je me dis que déjà, de définir les 30 rues commerciales les plus intéressantes au Canada, c'est déjà un exercice extrêmement difficile. À l'échelle planétaire, on s'entend qu'il y a probablement quelque chose d'un peu louche là-dedans », poursuit le professeur. De mon côté, je ne saurais juger de la pertinence des autres artères qui ont été sélectionnées aux quatre coins de la planète, mais ça revient au même : c'est uniquement basé sur l'opinion d'une « équipe mondiale de rédacteurs et contributeurs experts locaux, qui ont chacun défendu la rue la plus cool de leur ville », tel qu'indiqué en introduction de la liste du Time Out. Dans le cas de la rue Saint-Hubert, c'est donc l'avis d'une seule personne.
Alors, au-delà de la variété de l'offre gastronomique (notamment mexicaine) et surtout commerciale, entre les bars où l'on sert du vin nature et les nombreuses boutiques de robes de bal, on ne se gênera pas non plus pour donner notre avis des plus subjectifs : cette rue est particulièrement éclectique!
En février dernier, Tourisme Montréal faisait valoir le « nouveau visage de la Plaza Saint-Hubert » sur « cette rue vivante en pleine mutation ». C'est vrai, cet endroit évolue et on peut y faire de belles trouvailles. Mais j'en hisserais d'autres dans un top avant celle-là.
Effet de mode éphémère et fragile
Au-delà du caractère aléatoire de ce fameux palmarès, il y a aussi une espèce d'engouement parfois éphémère pour certains lieux, considère M. Beaudet. Ça semble être également le cas pour la rue Wellington, « déclarée la plus branchée du monde » en 2022 selon cet autre article du magazine Time Out. Dans ce cas-ci, on dit avoir sondé 20 000 personnes, mais il n'y a aucune trace de la méthodologie utilisée pour cette enquête.
Revenons au choix de la rue Saint-Hubert. « En quoi est-ce que ça en fait une rue si exceptionnelle? C'est une rue sympathique, parce qu'elle offre une gamme étendue de services. [...] il y a des gens de tous les statuts socio-économiques, les gens de toutes les cultures qu'on retrouve à Montréal. Pour moi, ça, c'est déjà un facteur de réussite. Mais en quoi est-ce que c'est quelque chose d'aussi cool qu'on le prétend? Elle offre une gamme étendue de services, mais pour le reste, c'est assez banal », s'interroge-t-il.
Car oui, de là à prétendre à une expérience urbaine des plus remarquables, on repassera. Par ailleurs, le critère « cool » ne va pas toujours avec l'aspect durabilité. Les choses changent et pas toujours pour le mieux, comme on peut le constater en se promenant sur la rue Sainte-Catherine, dans le Village. C'était mon endroit de prédilection l'été, pendant des années, autant pour les terrasses que les longues marches, autant le jour que le soir. « Là, ça va particulièrement mal », soutient-il. L'été dernier, plusieurs commerçant.e.s de ce secteur ont déploré le sentiment d'insécurité accentué par la multiplication de cas de vandalisme et des problèmes d'itinérance dans le quartier. Plusieurs d'entre eux ont également mis la clé sous la porte dans les dernières années ou songe à le faire prochainement. Selon un récent sondage publié par La Presse, pas moins de 93 % des commerçants du quartier sont insatisfaits du niveau de sécurité dans le Village.
Et j'ajouterais, des conjonctures sociales et économiques qu'on ne contrôle pas. Même scénario pour l'avenue Mont-Royal, qui était une référence en matière d'expérience urbaine à Montréal, et ce, pendant des années. Il y a certains week-ends, notamment pendant la saison estivale et piétonnière, où c'est très achalandé. Mais cette artère commerciale en a pris un coup avec la pandémie. « Ça va pas mal moins bien », considère M. Beaudet.
Être ou ne pas être cool, mais aussi, pour combien de temps? Telle est aussi la question. Et est-ce que la piétonnisation de la rue Saint-Hubert cet été saura la rendre plus tendance à mes yeux? Peut-être, car j'aime bien la vibe que ce genre de projet amène - je pense notamment au tronçon de la rue Saint-Laurent dans la Petite-Italie, lorsqu'on peut y circuler librement pendant la F1. Mais ça reste de courte durée, d'autant plus que pour la rue Saint-Hubert, cette initiative ne fait déjà pas l'unanimité auprès des commerçant.e.s.
Alors, quelle est la rue la plus cool de Montréal?
Comme il n'existe pas de barèmes officiels pour déterminer LA rue qui pourrait s'enquérir de ce titre, pourrait-on dire qu'il existe autant de rues cool que de types de personnalité. Je crois que oui, car il y a ce caractère très personnel à l'expérience et au sentiment qu’une artère nous procure. « Il y a des petits bouts de rues qu'on peut trouver sympathiques [comme la Place Valois]. On aime y aller parce qu'on veut que ça continue à être sympathique », souligne l'urbanisme.
C'est d'ailleurs un peu ce que je vis avec la rue Saint-Catherine, dans le Village. Je veux continuer à la trouver cool (et sécuritaire et accueillante) comme avant. Sinon, il y a aussi toutes ces rues « éclipsées » par les grandes artères commerciales, qui fait qu'on aime s'y retrouver entre voisin.e.s. Préfère-t-on parfois la familiarité et l'esprit de quartier au va-et-vient des lieux plus achalandés?
Dans cet esprit, j'ai sondé mes collègues chez Narcity pour connaître LEUR rue la plus cool de Montréal et les résultats sont diversifiés, appuyés par leurs restos/cafés/pâtisseries coups de coeur du moment, la présence de petits commerces ou encore, le côté feel good/petit village de style européen où il fait bon flâner pendant des heures. L'un.e de mes acolytes a d'ailleurs vécu à proximité de la Plaza Saint-Hubert et ce n'est pas sa rue la plus cool - d'autant plus avec les travaux de revitalisation qui s'y sont éternisés, bien qu'elle fasse partie de ses meilleurs endroits.
Voici donc les neufs nommés de notre liste non exhaustive - qui inclut également mon vote :
- Avenue Duluth ;
- Avenue Mont-Royal ;
- Rue Sainte-Catherine, dans le Village ;
- Rue Notre-Dame (dans le Sud-Ouest) ;
- Rue Saint-Denis ;
- Rue Jeanne-Mance (pour la Place des Festivals) ;
- Rue Saint-Laurent (à partir de Sherbrooke vers le Sud) ;
- Avenue Monkland ;
- Chemin du Bord-du-Lac dans la portion du Vieux Pointe-Claire.
Au final, chacun.e a droit à son propre palmarès.
Cet article a été mis à jour depuis sa publication originale.