Alors que la téléréalité connait un grand succès auprès du public québécois avec des concepts comme L'île de l'amour , Occupation Double , L'amour est dans le pré et plus encore, Édith Bernier, autrice et consultante sur le sujet de la grossophobie nous parle de la place de la diversité corporelle dans ces émissions.
Édith Bernier est aussi une conférencière en prévention de la grossophobie et en inclusion des personnes grosses. Lors d'une entrevue avec Narcity, elle explique l'importance de la représentation d'une diversité à l'écran et les raisons qui peuvent motiver les diffuseurs à ne pas en mettre davantage.
Pourquoi est-il important d'avoir de la diversité corporelle à l'écran?
« Un des arguments qui avaient été soulevés l'année passée, c'était qu'on devrait avoir [une émission] juste pour les personnes grosses. J'ai de la misère avec l'idée parce que les personnes grosses, ça ne marche pas juste avec des personnes grosses. Donc c'est pour ça qu'il faut de la diversité dans tous les sens.
« C'est important de démontrer c'est quoi la vraie vie dans le fond, parce que dans la vraie vie, il n'y a pas juste des personnes jeunes, il n'y a pas juste des personnes qui ont des proportions parfaites. […] Il y a toutes sortes de monde.
« Dans la mesure où, si on dit qu'on veut que ce soit une téléréalité, il faudrait qu'on soit peut-être un petit peu plus dans la réalité. Sinon, ce serait plutôt comme une télé stagée au niveau du choix des participants parce qu'on sait que souvent, le profil des différents participants est assez homogène. »
Voyez-vous une différence, dans les dernières années, concernant la représentation d'une diversité dans les téléréalités?
« Il y a eu Julie [Munger d' OD Chez Nous] l'année passée qui a amené des débats quand même, des questionnements importants. Ça a été loin d'avoir tout réglé, mais je pense que ça a peut-être ouvert des portes sur justement, qu'elle est la place de ces gens-là dans les émissions.
« Est-ce qu'il faut les prendre en pitié? Est-ce qu'il faut les traiter comme tout le monde? Est-ce qu'il faut leur donner plus de chances que les autres?
« J'ai envie de dire de juste les inclure au même titre que les autres, mais en dehors de ça, on a encore des trucs comme L'île de l'amour par exemple, que la diversité corporelle est sur une autre planète.
« On regarde même aussi dans les Star Académie , La Voix et tout ça, il y en a un petit peu plus, mais je dirais que ça reste quand même très minime malgré tout. »
« J'aimerais pouvoir dire que c'est pour un désir authentique d'inclusion. […] Il y a de plus en plus de voix qui s'élèvent et qui demandent ça. Est-ce qu'on l'exige assez fort comme public? On est encore assez habitué à se satisfaire de ce qu'on nous offre.
« Quand on regarde justement de façon générale comment les personnes plus grosses suscitent des réactions, elles polarisent, ça montre à quel point on est loin d'avoir une inclusion réelle. »
Qu'est-ce que la grossophobie?
« L'ensemble des comportements et des discriminations à l'endroit des personnes grosses. C'est un mot construit comme homophobie, comme xénophobie. […] Ce n'est pas avoir peur des gros, c'est juger les personnes grosses.
« Ça inclut aussi le fait d'avoir peur de prendre du poids parce qu'on a peur que ça nous dévalorise comme individu, ça inclut la célébration de la perte de poids aussi.
« Toutes les attitudes négatives et surtout, non justifiées qui sont dirigées à l'endroit des personnes grosses. »
Pensez-vous que la grossophobie joue un rôle dans la sélection des participants de téléréalités?
« Oui, parce que dans les questions du vote du public, les gens vont avoir tendance à voter pour les personnes qu'elles trouvent les plus attirantes, les plus belles. Souvent, on associe le fait d'être une personne plus grosse à beaucoup de choses qui sont négatives et ce n'est pas nouveau.
« Depuis qu'on est tout petit, on nous présente le fait d'être gros comme quelque chose de négatif, comme de la paresse, de la colère, d'être moins intelligent, etc. On finit par internaliser ça comme individu et ça peut teinter le vote du public et ça peut finir par teinter le vote. […]
« Au niveau de l'équipe qui a sélectionné [les candidat.es], je pense qu'il montre au public ce qu'il veut voir. Il n'y a personne qui va faire une téléréalité avec les gens que personne veut voir. Ce qu'on veut voir, ce sont des corps X dans le standard avec peut-être une personne qui diffère.
« Je suis convaincue qu'il y a des cas où on a inclus des personnes qui relèvent de la diversité corporelle pour contribuer au show , pour voir comment les autres réagiraient. […] Ça alimente la discussion et ça fait que les gens reviennent pour voir la suite. »
Pourquoi y a-t-il moins d'hommes ayant des silhouettes divergentes à la télévision selon vous?
« On pense encore que c'est un enjeu féminin, mais de plus en plus, les jeunes adolescents commencent à afficher des troubles alimentaires ou de la bigorexie par exemple. La bigorexie, c'est le désir d'être le plus musclé, le plus costaud possible.
« De plus en plus, on va être appelé à inclure de la diversité côté masculin, parce que ça en prend tout simplement parce que les hommes ne sont pas plus faits sur le même moule que les femmes.
« [Du côté d' Occupation Double ], c'est peut-être parce que le public est très féminin et peut-être que les gens se disent qu'ils vont mettre des gens qui correspondent à ce que les femmes veulent voir. »
Pourquoi la diversité corporelle et la séduction font-elles si peu bon ménage à la télévision?
« Les standards de beauté, on s'est fait dire que, chez les hommes, c'était d'être grand, fort et musclé, la gueule carrée, etc. […] On s'est fait dire que la féminité était d'être grande et mince avec les lèvres pulpeuses, de porter du maquillage, d'avoir les courbes aux bonnes places, mais surtout, pas de ventre.
« Ce sont des modèles qui nous ont été implantés parce que c'est ce qu'on nous a présenté toute notre vie. Tant qu'on nous présente ces modèles-là, c'est ce qu'on va continuer à générer comme personnes ou comme aspirations. Donc c'est un peu un cercle vicieux.
« Il n'y a personne qui va changer une formule qui fonctionne. Ça fait combien de saisons d' Occupation Double qu'il y a? Et elles fonctionnent toutes. »
Comment changer l'idée que nous avons des corps en tant que société?
« Je pense qu'individuellement, on a un gros ménage à faire sur ' ce que je trouve beau et ce que je trouve attirant chez les gens '. Est-ce que c'est parce que c'est le modèle qu'on m'a présenté toute ma vie? Ou est-ce que c'est parce que j'ai jamais été exposé à autre chose?
« J'invite les gens à s'exposer à d'autres choses […]. Il faut normaliser le fait qu'il y a plus qu'une shape , il y a plus qu'une grosseur et commencer déjà par le normaliser pour éventuellement l'accepter. Si déjà on atteint l'indifférence, ça sera un grand pas. […]
« Une fois qu'on s'est exposé à ça, on va pouvoir dire 'Écoutez les diffuseurs, les producteurs de ces shows -là, on a envie de voir d'autres choses.' »
Comment inclure ces notions à la téléréalité?
« Y aller en représentation proportionnelle, si dans la vie il y a 25 % de personnes qui ressemblent à un modèle, choisit 25 % des personnes qui représentent un tel pattern .
« De ne pas y aller avec le choix, avec une perspective, avec une lentille qui est aussi pleine d'œillères en fait. Au-delà du corps, il y a des personnalités aussi, et de ne pas se dire qu'on ne mélange pas les personnes grosses avec les personnes minces. […]
« Il faut vraiment décloisonner, mais c'est très humain, c'est rassurant de mettre les gens, de mettre les choses dans des boîtes. Il faut justement éclater ces boîtes-là. »
Cet entretien a été édité et condensé afin de le rendre plus clair.
À noter que l'écriture inclusive est utilisée pour la rédaction de nos articles. Pour en apprendre plus sur le sujet, tu peux consulter la page du gouvernement du Canada .