Shein et AliExpress volent les photos d'une Québécoise pour vendre des copies de ses designs
« J’ai vu les mêmes photos sur AliExpress. Est-ce que tu fais du dropshipping ? » Ce genre de question, c’est le cauchemar de toute artisane qui crée des pièces originales. Malheureusement, c’est la réalité à laquelle fait face Gabrielle Bernier, l'artiste derrière Cosmic Child Jewelry, une petite marque québécoise de bijoux faits à la main dans le Grand Montréal. Gabrielle a découvert avec stupeur que ses créations, et même ses photos originales, étaient utilisées sans autorisation par des géants du commerce en ligne comme Shein et AliExpress.
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Si les allégations de copie de designs ne sont pas rares sur ces plateformes chinoises, le cas de Cosmic Child Jewelry va plus loin : ses visuels ont carrément été repris pour vendre des imitations de ses bijoux artisanaux.
Une situation d’autant plus choquante, mais aussi surprenante, puisque son entreprise est un tout petit commerce indépendant, bien qu'elle ait du succès en ligne. Depuis quatre ans, Gabrielle bâtit sa réputation sur Etsy avec des bijoux en acier inoxydable hypoallergénique et en plaqué or, entièrement conçus et assemblés à la main. Sa boutique est aujourd’hui bien établie, affichant une note de 4,8/5 étoiles, basée sur 445 avis, et plus de 1 650 ventes.
Mais comment les créations d'une personne avec une petite plateforme de seulement 1 461 abonné.e.s sur Instagram et 1 161 « admirateurs Etsy » tombent-elles dans les mains des géants?
Quand les copies apparaissent sur Shein et AliExpress
La créatrice tombe des nues lorsqu’elle découvre que ses designs, et même ses propres photos, sont tous deux utilisés pour vendre des copies à une fraction du prix (et de la qualité) sur Shein et AliExpress.
Sur sa page Etsy, on peut, par exemple, découvrir une vidéo d'une paire de boucles d'oreilles imitant des planètes assez populaires, qui a une note de 5/5 selon les avis de la clientèle.

À l'aide d'une simple recherche photo, on découvre exactement le même produit, avec les visuels de Gabrielle, sur les sites chinois, à prix dérisoires.

AliExpress a toujours le produit en stock pour 4,59 $, tandis que Shein l'avait mis en vente pour 2,50 euros. Il est sold out sur Shein.

« C’est fâchant, parce que ça donne l’impression que c’est moi qui ai volé les images et les designs d’un distributeur en Chine. J’ai reçu des messages de gens qui me demandaient si j’avais utilisé les photos d’AliExpress ou Shein, ou si je revendais leurs produits. C’est complètement l’inverse : mes designs sont originaux et faits à la main! Ce sont mes photos à moi qu’ils utilisent en plus. »
Pour plusieurs personnes, l’idée que d’immenses plateformes copient le travail d’une petite créatrice locale semble impensable : une confusion particulièrement décourageante pour l’artiste.
Une bataille presque impossible
C’est David contre Goliath. Gabrielle a bien tenté de faire retirer les contenus des sites, mais le processus s’avère complexe, opaque et décourageant, surtout pour une créatrice indépendante sans soutien juridique.
« J’ai essayé de contacter Shein, mais c’est tellement compliqué, puisqu’ils ne sont pas au Canada. J’ai un peu abandonné parce que mes démarches n’aboutissaient pas et que mon produit est « sold out » de toute manière depuis un bon moment, alors techniquement, ils ne le vendent plus. J'aimerais toutefois qu'ils retirent mes visuels pour éviter les confusions. »

Cosmic Child Jewelry | Etsy
Du côté d’AliExpress, les copies sont toujours offertes pour quelques dollars seulement : un prix impossible à concurrencer pour une artisane locale qui produit avec des matériaux de qualité supérieure.
« Sur AliExpress, plusieurs copies sont encore en vente pour quelques dollars. Quand j’ai contacté le marchand, il m’a simplement répondu avec un émoji de bonhomme sourire. C’est ridicule. »

En cherchant les différents designs de Gabrielle, on découvre en effet qu'ils ont été vendus - et sont souvent toujours en vente - sur des plateformes d'AliExpress et Shein un peu partout à travers le monde.
Les visuels des « boucles d'oreilles système solaire » disponibles en argent ou en or rose sur la plateforme de Cosmic Child Jewelry, ont été utilisés sur le site allemand de Shein, par exemple.

Un phénomène qui prend de l’ampleur
Le cas de Gabrielle est loin d’être isolé. Les grandes plateformes internationales sont régulièrement critiquées pour leur manque de surveillance concernant la vente de copies d’œuvres provenant de créateur.trice.s indépendant.e.s. Faute de protections légales accessibles, plusieurs artisan.e.s se retrouvent impuissant.e.s devant ce pillage créatif à grande échelle.
Malgré la frustration et un sentiment d’injustice bien réel, Gabrielle continue de concevoir ses pièces uniques, en espérant que la clientèle privilégiera des produits locaux et durables. En plus de la question éthique, elle est préoccupée par l'impact écologique lié à ces items de piètre qualité qui risquent de ternir rapidement et finir aux poubelles, en plus de parcourir autour de 10 000 km d'avion.
Elle souhaite d’ailleurs que ce type de dénonciation lève le voile sur les pratiques de ces sites Internet et incite les Québécois.e.s à soutenir les artisan.e.s indépendant.e.s, surtout avec l'arrivée de la période des Fêtes.
Gabrielle choisit toutefois de ne pas consacrer trop d’énergie à ce combat. Désormais, elle appose sa signature sur l’ensemble de ses visuels. Une mesure dissuasive, même si elle sait qu’elle peut être contournée avec un minimum d’effort.


