La DJ montréalaise Montana s'ouvre sur l'absence des femmes dans la production musicale
« Il était payé 40 % de plus que moi. » 🤯

La DJ montréalaise Montana.
Bien que l’expression du genre se traduise maintenant le long d’un spectre, les stéréotypes entre le féminin et le masculin demeurent. Dans le cadre d’une série de portraits, Féminin · · · Masculin veut faire rayonner des personnalités québécoises féminines qui, chaque jour, se démarquent avec succès dans leur domaine, qui dépassent les limites et qui fracassent le plafond de verre tout en défiant les normes de genre.
Sur la scène montréalaise, s'il y a bien une productrice de musique et DJ qui se démarque depuis plusieurs années, c'est bien Montana Martin Iles. Alors qu'elle oeuvre dans ce métier depuis maintenant une douzaine d'années, elle nous a parlé du peu de place qu'occupent les femmes dans le milieu de la production musicale et s'est ouverte sur l'équité salariale dans le domaine.
Après être passée sur les scènes du festival Metro Metro, du Beachclub, de Oasis Montréal ainsi que dans plusieurs boîtes de nuit, elle collabore maintenant avec la chanteuse pop québécoise Laurence Nerbonne, en plus de travailler sur sa musique.
Lors de son entrevue avec Narcity, Montana a confié que c'est à la suite d'une série de rencontres inattendues qu'elle a eu la chance de se tailler une place de choix en tant que femme dans l'univers des DJs au Québec.
En résumé, quel est ton parcours professionnel?
« Je pense que j’ai été assez [chanceuse] dans la vie. La musique, ça a commencé parce que, quand j’étais plus jeune, je chantais. Je composais mes propres chansons puis je voulais faire mon album, mais je jouais dans le métro. [J’étais] bien trop pauvre pour être capable de me payer un studio.
« Je jouais dans le métro de Montréal puis un moment donné, j’ai vu une affiche de Musitechnic, [un centre de formation spécialisé en enregistrement, production audio et musicale à Montréal], fait que je me suis dit “Hey, je vais aller apprendre comment enregistrer à la place.”
« Une des directrices [...] connaissait Rob Heaney, [un producteur de musique]. Quand il m’a rencontrée, il était comme “Je veux vraiment que tu sois mon assistante.” Il travaillait à ce moment-là sur l’album de Patrick Watson et un album du Cirque du Soleil. Ce sont les deux premiers albums sur lesquels j’ai travaillé en sortant de l’école.
« Il n’y a personne que ça leur arrive dans la vie, puis ça a juste continué [...]. La première place où j’ai eu une résidence [comme DJ], ça a été au Drugstore parce que mon frère c’était une drag queen.
« C’est tout arrivé dans les mêmes mois. Ma première résidence, je l’ai eu au [bar] Unity [...]. Après, juste avant la pandémie j’ai rencontré Laurence Nerbonne, elle avait besoin d’une DJ puis finalement on s’est super bien entendues. Là, on s’est ouvert un studio ensemble. »
En prenant du recul, qu’est-ce qui te rend la plus fière dans ta carrière jusqu’à maintenant?
« Ce qui me rend la plus fière, c'est d’avoir réussi à [me faire] un nom dans les studios et dans le DJing, surtout dans les studios, en étant une femme. Je pense que c’est 12 % de femmes qui jouent à la radio [...], mais dans les studios il y a 1 % de femmes.
« Je n’ai jamais travaillé avec une autre femme en studio à part Laurence qui est producer. Ça fait douze ans, puis j’ai tout fait les plus gros studios de Montréal, c’est fou. »
Comment les doubles standards dans le monde de la musique et des DJs se traduisent-ils?
« Sérieusement, il a fallu que je joue la carte de la bro lesbienne [...]. Ce n’est pas une carte que je joue, je suis vraiment lesbienne, mais il a fallu que je sois un peu douchebag en studio pour qu’on soit des bros, puis que les gars me respectent. C’est vraiment triste à dire.
« Je pourrais te garantir qu’à ma première journée de studio, si j’étais habillée un peu plus dans les standards féminins qu’on voit [...], je n’aurais peut-être pas eu la même chance parce que tout de suite, on aurait fait comme “Elle ne doit pas connaître ces affaires-là.”
« Laurence va me dire des choses quand elle va m’apporter sur un plateau que des fois, il y a des hommes juste avant comme “Bien là, t’es sûre que Montana va connaître ces choses-là?” Mais c’est juste clairement parce que je suis une femme.
« Jamais on ne remettrait en question tous les mouvements que je fais si j’étais un homme [...]. Je voyais mon amie Miss Shelton se faire dire “Ah, t’es bonne pour une fille comme DJ.”
« Je vais toujours me souvenir, c’était painful les premières fois que je travaillais avec Tanya, [connue sous le nom de scène DJ Miss Shelton]. Il fallait qu’elle change de robe tous les soirs puis elle ne pouvait pas reporter la même robe qu’elle a portée il y a un mois, il fallait qu’elle joue en talons hauts pendant sept heures. »
La DJ montréalaise Montana s'ouvre sur l'absence des femmes dans la production musicale.Narcity Québec | YouTube
Comment fais-tu pour t’assurer de l’équité salariale dans le cadre de ton emploi?
« Un moment donné, je suis entrée dans le bureau d’un de mes boss, je n’étais pas là pour [écouter], j’étais là pour parler avec mon boss, puis il y avait le chef d’un DJ qui était là.
« Il était payé 40 % de plus que moi pour la même tribune, même le nombre de mes ventes au bar [est meilleur] puis là, j’étais comme “Okay?”
« Si ça avait été le nom d’un vétéran DJ [...], j’aurais fait “Bien, c’est normal.” La sagesse, ça se paye, mais quand j'ai vu que c’était un DJ qu'on est dans la même braquette d’ancienneté et de comment on fait nos soirées, j’ai vraiment pogné un deux minutes.
« Je n'ai pas monté mon prix juste à cette place-là, j’ai monté mon prix partout. C’est juste de même partout, je ne vais pas être fâchée contre mes boss pour des trucs comme ça, c’est juste comme ça partout. »
Qu'est-ce qui a été le plus difficile dans ton parcours?
« Ça a été de me faire confiance [...], puis encore aujourd'hui c’est vraiment un gros problème. On me voit tellement avec plein de monde, des photos avec 10 000 personnes, mais on est toutes seules derrière notre DJ booth.
« Les lumières ferment, ils ont fait leurs ventes, puis c’est comme “Hey, cool!” Fait que là, tu es comme “C’était-tu correct?”
« C’est dur de se faire confiance parce qu’on n’a pas tout le temps la tape dans le dos. »
Quelle a été la réaction du public VS celle des gens autour de toi face à ce que tu fais?
« C'était un peu comme quand j'ai fait mon coming out, mon père était comme “On le savait.” (Rires) Je pense que les gens n’ont pas vraiment été surpris.
« Je pense que les gens ont été surpris que je ne chante plus, puis que je ne joue plus de guitare. Ça, encore aujourd’hui, les gens proches de moi sont comme “Bien là Montana, tu payais ton loyer comme ça, tu faisais six à sept heures par jour.”
« C’est drôle parce que je voulais faire mon album, mais je n’ai finalement jamais fait mon album quand je suis entrée à l’école. J’ai commencé à travailler sur les albums des autres, puis j’ai juste laissé ça de côté.
« Pour vrai, je ne sais pas ce que je pourrais faire d’autre. »
Quels sont les risques et sacrifices que tu as dus faire pour en arriver où tu es?
« La pandémie, ça a été nice parce que j’ai pu recommencer à avoir des fins de semaine, mais je n’ai pas eu d’anniversaire, fêté d’anniversaires avec des amis [...]. C’est le premier jour de l’an que j’ai pu passer avec ma copine parce que tout a fermé.
« Je suis quelqu’un qui travaille beaucoup puis la semaine, je faisais du studio, j’arrivais à 8 h ou 9 h au studio, je partais vers 18 h pour aller souper et me laver, puis je mixais de 21 h à 3h du matin. Je dormais un peu, je retournais au studio.
« J’ai fait ça pendant longtemps puis j’ai sacrifié beaucoup de mes amis. Mes amis ne m’appelaient même plus pour m’inviter. Encore aujourd’hui, ils n’ont pas le réflexe.
« Quand tu es travailleur autonome, quand on te donne un contrat, tu le prends parce que tu ne sais pas si dans deux semaines tu vas pouvoir payer ton épicerie [...]. Je suis quand même rendue chanceuse qu’aujourd’hui je peux choisir les contrats que je veux. »
Quels conseils aurais-tu à donner à celles qui souhaiteraient percer dans un monde plus masculin?
« De ne juste pas lâcher, de savoir que tu es worth autant que n’importe qui. De faire confiance à tes oreilles, en ton talent.
« De faire en sorte que tu sois payée autant, puis je pense que c’est juste de foncer et de trouver la carte qui va bien marcher, comme moi le bro card ça a bien marché.
« De set des boundaries claires aussi. On vit dans cet univers-là, quand tu arrives en studio, de vraiment montrer que tu es là pour travailler, qu’il n’y ait pas un moment qu’un dude peut tomber en mode cruisage ou des trucs comme ça.
« Après douze ans, je l’ai vu. Je suis allée chercher je ne sais pas combien de fois des amies de fille à 3 h du matin parce que le boss l’avait saoulée.
« Mais de juste te faire confiance et de foncer parce que c’est vraiment le fun l’univers du studio pour de vrai. »
Quels sont tes projets et tes ambitions pour le futur?
« J’aimerais vraiment faire mon album cette année, ce serait mon but. Ça fait douze ans que je dis que je travaille sur mon album, mais là c’est vraiment mon but parce que je suis rendue à l’âge que pour perdurer comme une DJ, il faut que t’aies produit des tounes. »
Cet entretien a été édité et condensé afin de le rendre plus clair.
À noter que l'écriture inclusive est utilisée pour la rédaction de nos articles. Pour en apprendre plus sur le sujet, tu peux consulter la page du gouvernement du Canada.
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