J'ai immigré au Québec et voici pourquoi je ne vais pas voter aux élections françaises
Non, je n'irai pas contrer l'extrême droite au second tour.

Carte électorale et passeport français avec la vue de Montréal.
Ce samedi 9 avril, ce sont 2,5 millions de Français.es vivant à l'étranger qui étaient appelé.es aux urnes, une journée avant celles et ceux qui résident dans le pays, pour le premier tour des élections présidentielles. Malgré « mon droit et mon devoir civique », et le fait que j'aie un visa de travailleur.euse temporaire au Canada, j'ai refusé d'aller voter pour de multiples raisons, que ce soit de l'ordre pratique ou de l'ordre moral.
Il faut dire que depuis que j'ai foulé le sol canadien, en février 2020, j'ai seulement quitté la Belle Province deux fois, et ce, pour moins d'un mois au total. Je ne suis rentrée qu'une seule fois en France en deux ans, pour célébrer les fêtes de fin d'année.
En quelques sortes, la pandémie m'a complètement intégrée à la société québécoise. Je ne touche aucune aide française, je ne paye plus d'impôts là-bas, je ne bénéficie pas de la sécurité sociale, et je n'ai aucun bien sur place. Cela est un facteur à ne pas négliger dans ma prise de décision.
Les modalités pour aller voter au Québec
Quelques mois en arrière, j'étais plutôt motivée à aller voter. J'y pensais pour contrer l'extrême droite, par principe, même si je ne vis plus en France. Le temps est passé et j'ai commencé à m'intéresser aux modalités.
Pour aller voter, les Français.es du Canada devaient s'inscrire au consulat de France avant le 4 mars 2022. Il fallait donc avoir noté la date sur son calendrier à l'avance pour voir son nom figurer sur les listes électorales. Ce que je n'ai pas fait, par oubli. J'aurais pu aussi demander à un membre de ma famille de faire procuration, certes, mais il fallait le faire « dès que possible et jusqu’à début avril 2022 ».
Concernant les bureaux de vote dans la province, tous.tes les électeur.trices français.es du Québec, sauf celles et ceux qui habitent en Outaouais, doivent se rendre au Palais des congrès de Montréal pour exercer leur droit et leur devoir de citoyen.ne. Les Français.es qui habitent en Outaouais, dont Gatineau, doivent se rendre au Lycée Claudel d'Ottawa. Et c'est exactement pour cette raison qu'il y a des kilomètres de file chaque élection pour aller voter dans la métropole.
Il faut aussi prendre en compte que ce ne sont pas tous.tes les immigré.es français.es qui ont des congés le samedi, jour de vote choisi pour celles et ceux qui vivent à Montréal. Ce fut mon cas. Et pour être honnête, je n'avais aucune envie de sacrifier un jour de repos à chaque tour pour faire la file pendant des heures.
L'appartenance au Québec
De plus, mon sentiment d'appartenance au Québec se développe au fur et à mesure que mon processus d'immigration avance. Cela fait plus de deux ans que je vis ici et que je paye mes impôts aux gouvernements provincial et fédéral. J'ai quitté le Plateau — réputé pour être le quartier des Français.ses à Montréal — je consomme des produits québécois, je travaille pour un média québécois avec des Québécois.es, je commence même à intégrer des expressions québécoises dans mon vocabulaire.
Ici, j'ai atteint des objectifs de vie que je n'aurais jamais pensé atteindre aussi rapidement en France. Malgré moi, je me sens Québécoise par la force des choses et cela s'est confirmé en faisant mes papiers ici. Afin d'être en mesure de demander la résidence permanente, j'ai dû passer un test des valeurs québécoises dans le cadre du certificat de sélection du Québec (CSQ), que j'ai obtenu.
Aussi, ici, le système électoral est totalement différent de celui de la France et ça a éveillé ma curiosité. Lorsque j'ai suivi les élections fédérales, j'avais l'impression de découvrir une autre manière de faire de la politique. Ça m'a donné le goût de suivre et de comprendre comment cela fonctionne au Canada en général, mais aussi au Québec.
La politique française m'a découragée
J'ai toujours aimé la politique et j'ai très vite forgé mes propres opinions. J'écoutais les débats à l'Assemblée nationale sur la Chaîne Parlementaire les mercredis après-midi. Je n'avais jamais manqué d'aller voter à une seule élection et j'étais « tannante » avec celles et ceux qui ne se rendaient pas aux urnes. Malheureusement, avec le temps, la politique française commence à ne plus avoir de saveur pour moi.
En 2017, lors des dernières élections et après les Accords de Paris, j'avais espoir qu'un programme écologique soit adopté. J'ai été grandement déçue. Les Verts s'étaient rallié.es au Parti socialiste de Benoît Hamon, qui était « quasi inexistant » suite au départ de François Hollande. Il faut dire qu'à droite, cela n'allait pas très bien non plus, au vu des révélations concernant les finances de François Fillon et l'affaire des emplois fictifs. À ce moment-là Emmanuel Macron avait un boulevard vide devant lui puisqu'il représentait un vent de fraîcheur pour certain.es : la politique française vivait une crise et une restructuration profonde.
Toujours en 2017, au deuxième tour les Français.es ont eu le même choix qu'en 2022 : Marine Lepen, candidate d'extrême droite ou Emmanuel Macron, centriste. Suis-je la seule à trouver cela absurde, que les Français.es qui ont manifesté pendant plusieurs années contre la politique macroniste, notamment avec la loi Travail lorsqu'il était ministre de l'Économie sous Hollande, ou lors de la crise des gilets jaunes et encore plus récemment, à cause du passeport vaccinal, choisissent de voter majoritairement à nouveau pour lui? Est-ce le seul visage de l'opposition en France face à l'extrême droite?
En 2002, le père de Marine, Jean-Marie Lepen, un ancien antiquaire de disques nazis qui est à l'origine du parti Rassemblement National, a fait trembler la France lorsqu'il est passé au second tour face à Jacques Chirac. Finalement, ce dernier a exercé un deuxième mandat avec 82 % des voix, car les Français.es avaient pris peur.
Depuis, il n'y a qu'en 2007 lorsque c'était Nicolas Sarkozy contre Ségolène Royale et en 2012 quand François Hollande faisait face à Sarkozy, que l'extrême droite n'a pas atteint le second tour.
C'est donc la troisième fois en 20 ans que l'extrême droite accède au second tour en France. Le mouvement gagne des voix, tandis que les partis de gauche et de droite peinent de plus en plus à garder de la crédibilité auprès des électeur.trices de l'Hexagone. Eric Zemmour, un nouveau candidat d'extrême droite, a récupéré 7 % des voix pour sa première campagne. Et, selon l'équipe du journaliste indépendant Hugo Décrypte, les votes pour les partis d'extrême droite en France auraient augmenté de 32 % comparé à 2017.
C'est toujours le même constat : beaucoup de Français.es se retrouvent à « choisir entre la peste et le choléra ». Une population, qui une fois le mandat entamé, se plaindra dans les rues du choix qu'elle a émis dans les urnes. C'est comme une boucle sans fin, à cause d'une porte de sortie qui sert à lutter contre la montée de l'extrême droite.
En tout cas, j'espère avoir rapidement mes papiers du Québec et du Canada, pour faire entendre ma voix de citoyenne dans la province et au pays.
Ici, j'aurai le goût d'aller aux urnes.
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